Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/198

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— Comment ! dit Richelieu en fronçant le sourcil, mais avec un rire amer ; comment ! vous connaissez ce jeune homme ? est-ce lui qui a fait vos malheurs ?

— Oh ! non, il est bien bon, et il déteste les méchants, c’est ce qui le perdra. D’ailleurs, dit-elle en prenant tout à coup un air dur et sauvage, les hommes sont faibles, et il y a des choses que les femmes doivent accomplir. Quand il ne s’est plus trouvé de vaillants dans Israël, Déborah s’est levée.

— Eh ! comment savez-vous toutes ces belles choses ? continua le Cardinal en lui tenant toujours la main.

— Oh ! cela, je ne puis vous l’expliquer, reprit avec un air de naïveté touchante et une voix très-douce la jeune religieuse, vous ne me comprendriez pas ; c’est le démon qui m’a tout appris et qui m’a perdue.

— Eh ! mon enfant, c’est toujours lui qui nous perd ; mais il nous instruit mal, dit Richelieu avec l’air d’une protection paternelle et d’une pitié croissante. Quelles ont été vos fautes ? dites-les-moi ; je peux beaucoup.

— Ah ! dit-elle d’un air de doute, vous pouvez beaucoup sur des guerriers, sur des hommes braves et généreux ; sous votre cuirasse doit battre un noble cœur ; vous êtes un vieux général, qui ne savez rien des ruses du crime.

Richelieu sourit, cette méprise le flattait.

— Je vous ai entendu demander le Cardinal ; que lui voulez-vous enfin ? Qu’êtes-vous venue chercher ?

La religieuse se recueillit et mit un doigt sur son front.

— Je ne m’en souviens plus, dit-elle, vous m’avez trop parlé… J’ai perdu cette idée, c’était pourtant une grande idée… C’est pour elle que je suis condamnée à la faim qui me tue ; il faut que je l’accomplisse : ou je vais mourir avant. Ah ! dit-elle en portant la main sous sa robe