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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/263

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— Je vous jure que je ne comprends rien à tout ce qu’on me dit aujourd’hui. Est-ce M. de Cinq-Mars ?

— À la bonne heure, monsieur, vous me traitez en Cardinaliste ; eh bien, quittons-nous, dit l’abbé Quillet furieux.

Et il reprit sa canne à béquille et sortit très-vite, sans écouter de Thou, qui le poursuivit jusqu’à sa voiture en cherchant à l’apaiser, mais sans y réussir, parce qu’il n’osait nommer son ami sur l’escalier devant ses gens et ne pouvait s’expliquer. Il eut le déplaisir de voir s’en aller son vieux abbé encore tout en colère, et lui cria : — À demain ! pendant que le cocher partait, et sans qu’il y répondît.

Il lui fut utile, cependant, d’être descendu jusqu’au bas des degrés de sa maison, car il vit des groupes hideux de gens du peuple qui revenaient du Louvre, et fut à même alors de juger de l’importance de leur mouvement dans la matinée ; il entendit des voix grossières crier comme en triomphe :

— Elle a paru tout de même, la petite Reine ! — Vive le bon duc de Bouillon, qui nous arrive ! Il a cent mille hommes avec lui, qui viennent en radeau sur la Seine. Le vieux Cardinal de la Rochelle est mort. — Vive le Roi ! vive M. le Grand !

Les cris redoublèrent à l’arrivée d’une voiture à quatre chevaux, dont les gens portaient la livrée du roi, et qui s’arrêta devant la porte du conseiller. Il reconnut l’équipage de Cinq-Mars, à qui Ambrosio descendit ouvrir les grands rideaux, comme les avaient les carrosses de cette époque. Le peuple s’était jeté entre le marchepied et les premiers degrés de la porte, de sorte qu’il lui fallut de véritables efforts pour descendre et se débarrasser des femmes de la Halle, qui voulaient l’embrasser en criant :

— Te voilà donc, mon cœur, mon petit ami ! Tu