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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/277

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Ne voulant plus s’engager dans une guerre de mots, la Reine salua un peu sèchement, et sortit avec Marie, qui laissa tomber sur Cinq-Mars un de ces regards qui renferment à la fois toutes les émotions de l’âme. Il crut lire dans ses beaux yeux le dévouement éternel et malheureux d’une femme donnée pour toujours, et il sentit que, s’il avait jamais eu la pensée de reculer dans son entreprise, il se serait regardé comme le dernier des hommes. Sitôt qu’on quitta les deux princesses :

— Là, là, là, je vous l’avais bien dit, Bouillon, vous fâchez la Reine, dit Monsieur ; vous avez été trop loin aussi. On ne m’accusera pas certainement d’avoir faibli ce matin ; j’ai montré, au contraire, plus de résolution que je n’aurais dû.

— Je suis plein de joie et de reconnaissance pour Sa Majesté, répondit M. de Bouillon d’un air triomphant ; nous voilà sûrs de l’avenir. Qu’allez-vous faire à présent, monsieur de Cinq-Mars ?

— Je vous l’ai dit, monsieur, je ne recule jamais ; quelles qu’en puissent être les suites pour moi, je verrai le Roi ; je m’exposerai à tout pour arracher ses ordres.

— Et le traité d’Espagne !

— Oui, je le…

— De Thou saisit le bras de Cinq-Mars, et, s’avançant tout à coup, dit d’un air solennel :

— Nous avons décidé que ce serait après l’entrevue avec le Roi qu’on le signerait ; car, si la juste sévérité de Sa Majesté envers le Cardinal vous en dispense, il vaut mieux, avons-nous pensé, ne pas s’exposer à la découverte d’un si dangereux traité.

M. de Bouillon fronça le sourcil.

— Si je ne connaissais M. de Thou, dit-il, je prendrais ceci pour une défaite ; mais de sa part…

— Monsieur, reprit le conseiller, je crois pouvoir