Aller au contenu

Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’elle, elle se laissait aller au balancement de la voiture. Marie, toujours occupée du Roi, parlait à demi-voix à la maréchale d’Effiat ; toutes deux cherchaient à se donner des espérances qu’elles n’avaient pas, et se trompaient par amitié.

— Madame, je vous félicite ; M. le Grand est assis près du Roi ; jamais on n’a été si loin, disait Marie.

Puis elle se taisait longtemps, et la voiture roulait tristement sur des feuilles mortes et desséchées.

— Oui, je le vois avec une grande joie ; le Roi est si bon ! répondait la maréchale.

Et elle soupirait profondément.

Un long et morne silence succéda encore ; toutes deux se regardèrent et se trouvèrent mutuellement les yeux en larmes. Elles n’osèrent plus se parler, et Marie, baissant la tête, ne vit plus que la terre brune et humide qui fuyait sous les roues. Une triste rêverie occupait son âme ; et, quoiqu’elle eût sous les yeux le spectacle de la première cour de l’Europe aux pieds de celui qu’elle aimait, tout lui faisait peur, et de noirs pressentiments la troublaient involontairement.

Tout à coup un cheval passa devant elle comme le vent ; elle leva les yeux, et eut le temps de voir le visage de Cinq-Mars. Il ne la regardait pas ; il était pâle comme un cadavre, et ses yeux se cachaient sous ses sourcils froncés et l’ombre de son chapeau abaissé. Elle le suivit du regard en tremblant ; elle le vit s’arrêter au milieu du groupe des cavaliers qui précédaient les voitures, et qui le reçurent le chapeau bas. Un moment après, il s’enfonça dans un taillis avec l’un d’entre eux, la regarda de loin, et la suivit des yeux jusqu’à ce que la voiture fut passée ; puis il lui sembla qu’il donnait à cet homme un rouleau de papiers en disparaissant dans le bois. Le brouillard qui tombait l’empêcha de le voir plus loin.