Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/347

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Marie fondait en larmes.

— Vous me parlez toujours d’un air contraint, dit-elle ; je ne l’ai point mérité. Si je ne vous dis rien de cette conjuration effrayante, croyez-vous que je l’oublie ? ne me trouvez-vous pas assez malheureuse ? avez-vous besoin de voir mes pleurs ? les voilà. J’en verse assez en secret, Henry ; croyez que si j’ai évité, dans nos dernières entrevues, ce terrible sujet, c’était de crainte d’en trop apprendre : ai-je une autre pensée que celle de vos dangers ? ne sais-je pas bien que c’est pour moi que vous les courez ? Hélas ! si vous combattez pour moi, n’ai-je pas aussi à soutenir des attaques non moins cruelles ? Plus heureux que moi, vous n’avez à combattre que la haine, tandis que je lutte contre l’amitié : le Cardinal vous opposera des hommes et des armes ; mais la Reine, la douce Anne d’Autriche, n’emploie que de tendres conseils, des caresses, et quelquefois des larmes.

— Touchante et invincible contrainte, dit Cinq-Mars avec amertume, pour vous faire accepter un trône. Je conçois que vous ayez besoin de quelques efforts contre de telles séductions ; mais avant, madame, il importe de vous délier de vos serments.

— Hélas ! grand Dieu ! qu’y a-t-il contre nous ?

— Il y a Dieu sur nous et contre nous, reprit Henry d’une voix sévère ; le Roi m’a trompé.

L’abbé s’agita dans le confessionnal. Marie s’écria :

— Voilà ce que je pressentais ; voilà le malheur que j’entrevoyais. Est-ce moi qui l’ai causé ?

— Il m’a trompé en me serrant la main, poursuivit Cinq-Mars ; il m’a trahi par le vil Joseph qu’on m’offre de poignarder.

L’abbé fit un mouvement d’horreur qui ouvrit à demi la porte du confessionnal.

— Ah ! mon père, ne craignez rien, continua Henry