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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/35

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pour aller à Perpignan, et aussi à celle qui me ramènera chez vous.

— N’oubliez pas de prendre celle de Poitiers et d’aller à Loudun voir votre ancien gouverneur, notre bon abbé Quillet ; il vous donnera d’utiles conseils sur la cour, il est fort bien avec le duc de Bouillon ; et, d’ailleurs, quand il ne vous serait pas très-nécessaire, c’est une marque de déférence que vous lui devez bien.

— C’est donc au siége de Perpignan que vous vous rendez, mon ami ? répondit le vieux maréchal, qui commençait à trouver qu’il était resté bien longtemps dans le silence. Ah ! c’est bien heureux pour vous. Peste ! un siége ! c’est un joli début : j’aurais donné bien des choses pour en faire un avec le feu roi à mon arrivée à sa cour ; j’aurais mieux aimé m’y faire arracher les entrailles du ventre qu’à un tournoi, comme je fis. Mais on était en paix, et je fus obligé d’aller faire le coup de pistolet contre les Turcs avec le Rosworm des Hongrois, pour ne pas affliger ma famille par mon désœuvrement. Du reste, je souhaite que Sa Majesté vous reçoive d’une manière aussi aimable que son père me reçut. Certes, le roi est brave et bon ; mais on l’a habitué malheureusement à cette froide étiquette espagnole qui arrête tous les mouvements du cœur ; il contient lui-même et les autres par cet abord immobile et cet aspect de glace : pour moi, j’avoue que j’attends toujours l’instant du dégel, mais en vain. Nous étions accoutumés à d’autres manières par ce spirituel et simple Henry, et nous avions du moins la liberté de lui dire que nous l’aimions.

Cinq-Mars, les yeux fixés sur ceux de Bassompierre, comme pour se contraindre lui-même à faire attention à ses discours, lui demanda quelle était la manière de parler du feu roi.

— Vive et franche, dit-il. Quelque temps après mon