Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/360

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ancien négoce ; je suis revenu ici. Le métier va bien, heureusement : il y a peine de mort contre nous, et la marchandise renchérit.

— Qu’est-ce que je vois là ? s’écria Jacques ; un éclair dans ce mois-ci !

— Oui, les orages vont commencer : il y en a déjà eu deux. Nous sommes dans le nuage ; entends-tu les roulements ? Mais ce n’est rien ; va, bois toujours. Il est une heure du matin à peu près, nous achèverons l’outre et la nuit ensemble. Je te disais donc que je fis connaissance avec notre président, un grand drôle nommé Laubardemont. Je ne sais pas si tu le connais.

— Oui, oui, un peu, dit Jacques ; c’est un fier avare, mais c’est égal ; parle.

— Eh bien, comme nous n’avions rien de caché l’un pour l’autre, je lui dis mes petits projets de commerce, et lui recommandai, quand l’occasion des bonnes affaires se présenterait, de penser à son camarade du tribunal. Il n’y a pas manqué, je n’ai pas à me plaindre.

— Ah ! ah ! dit Jacques. Et qu’a-t-il fait ?

— D’abord il y a deux ans qu’il m’a amené lui-même, en croupe, sa nièce, que tu as vue à la porte.

— Sa nièce ! dit Jacques en se levant, et tu la traites comme une esclave ! Demonio !

— Bois toujours, continua Houmain en attisant doucement la braise avec son poignard ; c’est lui-même qui l’a désiré. Rassieds-toi.

Jacques se rassit.

— Je crois, poursuivit le contrebandier, qu’il n’aurait pas même été fâché de la savoir… tu m’entends. Il aurait mieux aimé la savoir sous la neige que dessus, mais il ne voulait pas l’y mettre lui-même, parce qu’il est bon parent, comme il le dit.

— Et comme je le sais, dit le nouveau venu, mais va…