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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/367

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— J’enfonce ! s’écria-t-il ; tends-moi quelque chose et tu auras le traité.

— Donne-le-moi, et je te tendrai ce mousquet, dit le juge.

— Le voilà, dit le spadassin, puisque le diable est pour Richelieu.

Et lâchant d’une main son glissant appui, il jeta un rouleau de bois dans la cabane. Laubardemont y rentra, se précipitant sur le traité comme un loup sur sa proie. Jacques avait en vain étendu son bras ; on le vit glisser lentement avec le bloc énorme et dégelé qui croulait sur lui, et s’enfoncer sans bruit dans les neiges.

— Ah ! misérable ! tu m’as trompé ! s’écria-t-il ; mais on ne m’a pas pris le traité… je te l’ai donné… entends-tu… mon père !

Il disparut sous la couche épaisse et blanche de la neige ; on ne vit plus à sa place que cette nappe éblouissante que sillonnait la foudre en s’y éteignant ; on n’entendit plus que les roulements du tonnerre et le sifflement des eaux qui tourbillonnaient contre les rochers, car les hommes groupés autour d’un cadavre et d’un scélérat, dans la cabane à demi brisée, se taisaient glacés par l’horreur, et craignaient que Dieu ne vînt à diriger la foudre[1].

  1. « Il vécut et mourut avec des brigands. Ne voilà-t-il pas une punition divine dans la famille de ce juge, pour expier en quelque façon la mort cruelle et impitoyable de ce pauvre Grandier, dont le sang crie vengeance ? » (Patin, lettre lxv, du 22 décembre 1631.)