Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/40

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baiser, et que Dieu vous conduise ! Soyez digne de votre nom et de votre père.

Puis, comme a dit Homère, riant sous les pleurs, elle se leva en le poussant et disant : — Allons, que je vous voie à cheval, bel écuyer !

Le silencieux voyageur baisa les mains de sa mère et la salua ensuite profondément ; il s’inclina aussi devant la duchesse sans lever les yeux ; puis, embrassant son frère aîné, serrant la main au maréchal et baisant le front de sa jeune sœur presque à la fois, il sortit et dans un instant fut à cheval. Tout le monde se mit aux fenêtres qui donnaient sur la cour, excepté madame d’Effiat, encore assise et souffrante.

— Il part au galop ; c’est bon signe, dit en riant le maréchal.

— Ah ! Dieu ! cria la jeune princesse en se retirant de la croisée.

— Qu’est-ce donc ? dit la mère.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, dit M. de Launay : le cheval de monsieur votre fils s’est abattu sous la porte, mais il l’a bientôt relevé de la main : tenez, le voilà qui salue de la route.

— Encore un présage funeste ! dit la marquise en se retirant dans ses appartements.

Chacun l’imita en se taisant ou en parlant bas.

La journée fut triste et le souper silencieux au château de Chaumont.

Quand vinrent dix heures du soir, le vieux maréchal, conduit par son valet de chambre, se retira dans la tour du nord, voisine de la porte et opposée à la rivière. La chaleur était extrême ; il ouvrit la fenêtre, et, s’enveloppant d’une vaste robe de soie, plaça un flambeau pesant sur une table et voulut rester seul. Sa croisée donnait sur la plaine, que la lune dans son premier quartier n’é-