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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/416

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— Vous avez eu tort : vous seriez maître à présent.

— Eh ! quel bonheur aurais-je de mon pouvoir, partagé qu’il serait avec une femme qui ne me comprit pas, m’aima faiblement et me préféra une couronne ? Après son abandon, je n’ai pas voulu devoir ce qu’on nomme l’Autorité à la victoire ; juge si je la recevrai du crime !

— Inconcevable folie ! dit le capucin en riant.

— Tout avec elle, rien sans elle : c’était là toute mon âme.

— C’est par entêtement et par vanité que vous persistez ; c’est impossible ! reprit Joseph : ce n’est pas dans la nature.

— Toi qui veux nier le dévouement, reprit Cinq-Mars, comprends-tu du moins celui de mon ami ?

— Il n’existe pas davantage ; il a voulu vous suivre parce que…

Ici le capucin, un peu embarrassé, chercha un instant.

— Parce que… parce que… il vous a formé, vous êtes son œuvre… Il tient à vous par amour-propre d’auteur… Il était habitué à vous sermonner, et il sent qu’il ne trouverait plus d’élève si docile à l’écouter et à l’applaudir… La coutume constante lui a persuadé que sa vie tenait à la vôtre… c’est quelque chose comme cela… il vous accompagne par routine… D’ailleurs, ce n’est pas fini… nous verrons la suite et l’interrogatoire ; il niera sûrement qu’il ait su la conjuration.

— Il ne le niera pas ! s’écria impétueusement Cinq-Mars.

— Il la savait donc ? vous l’avouez, dit Joseph triomphant ; vous n’en aviez pas encore dit si long.

— Ô ciel ! qu’ai-je fait ? soupira Cinq-Mars en se cachant la tête.

— Calmez-vous : il est sauvé malgré cet aveu, si vous acceptez mon offre.