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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/427

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— Que nous veux-tu dans un moment semblable ? dit Cinq-Mars avec une gravité pleine d’indulgence.

— Regardez les chaînes de la ville, dit le fidèle domestique.

Le soleil naissant colorait le ciel depuis un instant à peine. Il paraissait à l’horizon une ligne éclatante et jaune, sur laquelle les montagnes découpaient durement leurs formes d’un bleu foncé ; les vagues de la Saône et les chaînes de la ville, tendues d’un bord à l’autre, étaient encore voilées par une légère vapeur qui s’élevait aussi de Lyon, et dérobait à l’œil le toit des maisons. Les premiers jets de la lumière matinale ne coloraient encore que les points les plus élevés du magnifique paysage. Dans la cité, les clochers de l’hôtel de ville et de Saint-Nizier, sur les collines environnantes, les monastères des Carmes et de Sainte-Marie, et la forteresse entière de Pierre-Encise, étaient dorés de tous les feux de l’aurore. On entendait le bruit des carillons joyeux des villages. Les murs seuls de la prison étaient silencieux.

— Eh bien, dit Cinq-Mars, que nous faut-il voir ? est-ce la beauté des plaines ou la richesse des villes ? est-ce la paix de ces villages ? Ah ! mes amis, il y a partout là des passions et des douleurs comme celles qui nous ont amenés ici !

Le vieil abbé et Grandchamp se penchèrent sur le parapet de la terrasse pour regarder du côté de la rivière.

— Le brouillard est trop épais : on ne voit rien encore, dit l’abbé.

— Que notre dernier soleil est lent à paraître ! disait de Thou.

— N’apercevez-vous pas en bas, au pied des rochers, sur l’autre rive, une petite maison blanche entre la porte d’Halincourt et le boulevard Saint-Jean ? dit l’abbé.