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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/451

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Lorsque les deux princesses entrèrent dans les longues galeries du Palais-Cardinal, elles furent reçues et saluées froidement par le Roi et le ministre, qui, entourés et pressés par une foule de courtisans silencieux, jouaient aux échecs sur une table étroite et basse. Toutes les femmes qui entrèrent avec la Reine, ou après elle, se répandirent dans les appartements, et bientôt une musique fort douce s’éleva dans l’une des salles, comme un accompagnement à mille conversations particulières qui s’engagèrent autour des tables de jeu.

Auprès de la Reine passèrent, en saluant, deux jeunes et nouveaux mariés, l’heureux Chabot et la belle duchesse de Rohan ; ils semblaient éviter la foule et chercher à l’écart le moment de se parler d’eux-mêmes. Tout le monde les accueillait en souriant et les voyait avec envie : leur félicité se lisait sur le visage des autres autant que sur le leur.

Marie les suivit des yeux : — Ils sont heureux pourtant, dit-elle à la Reine, se rappelant le blâme que l’on avait voulu jeter sur eux.

Mais, sans lui répondre, Anne d’Autriche craignant que, dans la foule, un mot inconsidéré ne vînt apprendre quelque funeste événement à sa jeune amie, se plaça derrière le Roi avec elle. Bientôt Monsieur, le prince Palatin et le duc de Bouillon vinrent lui parler d’un air libre et enjoué. Cependant le second, jetant sur Marie un regard sévère et scrutateur, lui dit : « Madame la princesse, vous êtes ce soir d’une beauté et d’une gaieté surprenantes. »

Elle fut interdite de ces paroles, et de le voir s’éloigner d’un air sombre ; elle parla au duc d’Orléans, qui ne répondit pas et sembla ne pas entendre. Marie regarda la Reine, et crut remarquer de la pâleur et de l’inquiétude sur ses traits. Cependant personne n’osait approcher le