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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/454

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ministre avaient préparés pour les réjouissances, et que l’on passait avec dédain devant les façades illuminées de son palais. Si quelques voix s’élevaient, c’était pour lire et relire sans cesse avec ironie les légendes et les inscriptions dont l’idiote flatterie de quelques écrivains obscurs avait entouré les portraits du Cardinal-Duc. L’une de ces images était gardée par des arquebusiers qui ne la garantissaient pas des pierres que lui lançaient de loin des mains inconnues. Elle représentait le Cardinal généralissime portant un casque entouré de lauriers. On lisait au-dessus :

 
Grand duc ! c’est justement que la France t’honore :
Ainsi que le dieu Mars dans Paris on t’adore[1].


Ces belles choses ne persuadaient pas au peuple qu’il fût heureux ; et en effet il n’adorait pas plus le Cardinal que le dieu Mars, mais il acceptait ses fêtes à titre de désordre. Tout Paris était en rumeur, et des hommes à longue barbe, portant des torches, des pots remplis de vin, et des verres d’étain qu’ils choquaient à grand bruit, se tenaient sous le bras, et chantaient à l’unisson, avec des voix rudes et grossières, une ancienne ronde de la Ligue :

 
Reprenons la danse,
Allons, c’est assez :
Le printemps commence,
Les Rois sont passés.
Prenons quelque trêve,
Nous sommes lassés ;
Los Rois de la fève
Nous ont harassés.
Allons, Jean du Mayne,
Les Rois sont passés[2]


Les bandes effrayantes qui hurlaient ces paroles traversèrent les quais et le Pont-Neuf, froissant, contre les

  1. Cette gravure existe encore.
  2. Chant des guerres civiles. (Voy. Mém. de la Ligue.)