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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/502

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au cerveau d’un homme politique, la gestation en est pesante et pénible, l’enfantement en serait probablement mortel, et l’avortement est un bonheur public.

Je ne pense pas qu’il se rencontre dans l’histoire un fait qui soit plus propre que le jugement d’Auguste de Thou à déposer contre cette fatale idée, en cas que le mauvais génie de la France voulût jamais que la proposition fut renouvelée d’une loi de non-révélation.

Comme rien n’inspire mieux les réponses les plus sûres et ne les présente avec de plus nettes expressions qu’un danger extrême chez un homme supérieur, je vois que dès l’abord M. de Thou alla au fond de la question de droit et de possibilité avec sa raison, et au fond de la question de sentiment et d’honneur avec son noble cœur ; écoutons-le :


Le jour de sa confrontation avec M. de Cinq-Mars[1], il dit : « Qu’après avoir beaucoup considéré dans son esprit, sçavoir, s’il devoit déclarer au Roy (le voyant tous les jours au camp de Perpignan) la cognoissance qu’il avoit eue de ce traité, il résolut en luy-mesme pour plusieurs raisons de n’en point parler. 1o Il eût fallu se rendre délateur d’un crime d’Estat de Monsieur, frère unique du Roy, de Monsieur de Bouillon et de Monsieur le Grand, qui estoient tous beaucoup plus puissants et plus accrédités que luy, et qu’il y avoit certitude qu’il succomberait en cette action, dont il n’avoit aucune preuve pour le vérifier. — Je n’aurois pu citer, dit-il, le tesmoignage de Fontrailles, qui estoit absent, et Monsieur le Grand auroit peut-être nié alors qu’il m’en eust parlé. J’aurois donc passé pour un calomniateur, et mon honneur, qui me sera toujours plus cher que ma propre vie, estoit perdu sans ressource. »

2o Pour ce qui regarde M. le Grand, il ajoute ces paroles déjà fidèlement rapportées (p. 408) et d’une beauté incomparable par leur simplicité antique, j’oserai presque dire évangélique :

« — Il m’a cru son amy unique et fidèle, et je ne l’ai pas voulu trahir. »

Quelle que puisse être l’entreprise secrète que l’on suppose, ou contre une tête couronnée, ou contre la constitution d’un

  1. Voir interrogatoire et confrontation (12 septembre 1642), Journal de M. le Cardinal-Duc, écrit de sa main (p.190)