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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/61

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maison de bois à un seul étage, et, dans son empressement, frappa à coups redoublés.

— Qui va là ? cria une voix furieuse.

Et presque aussitôt la porte s’ouvrant laissa voir un petit homme gros, court et tout rouge, portant une calotte noire, une immense fraise blanche, des bottes à l’écuyère qui engloutissaient ses petites jambes dans leurs énormes tuyaux, et deux pistolets d’arçon à sa main.

— Je vendrai chèrement ma vie ! cria-t-il, et…

— Doucement, l’abbé, doucement, lui dit son élève en lui prenant le bras : ce sont vos amis.

— Ah ! mon pauvre enfant, c’est vous ! dit le bonhomme, laissant tomber ses pistolets, que ramassa avec précaution un domestique armé aussi jusqu’aux dents. Eh ! que venez-vous faire ici ? L’abomination y est venue, et j’attends la nuit pour partir. Entrez vite, mon ami, vous et vos gens ; je vous ai pris pour les archers de Laubardemont, et, ma foi, j’allais sortir un peu de mon caractère. Vous voyez ces chevaux ; je vais en Italie rejoindre notre ami le duc de Bouillon. Jean, Jean, fermez vite la grande porte par-dessus ces braves domestiques, et recommandez-leur de ne pas faire trop de bruit, quoiqu’il n’y ait pas d’habitation près de celle-ci.

Grandchamp obéit à l’intrépide petit abbé, qui embrassa quatre fois Cinq-Mars en s’élevant sur la pointe de ses bottes pour atteindre le milieu de sa poitrine. Il le conduisit bien vite dans une étroite chambre, qui semblait un grenier abandonné, et, s’asseyant avec lui sur une malle de cuir noir, il lui dit avec chaleur :

— Eh ! mon enfant, où allez-vous ? À quoi pense madame la maréchale de vous laisser venir ici ? Ne voyez-vous pas bien tout ce qui se fait contre un malheureux qu’il faut perdre ? Ah ! bon Dieu ! était-ce là le premier spectacle que mon cher élève devait avoir sous les