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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/64

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yeux et devenait triste en le voyant redevenu sérieux.

Le vieillard se rassit enfin, et commença d’un ton grave le discours suivant :

— Mon ami, mon enfant, je me suis livré en père à vos espérances ; je dois pourtant vous dire, et ce n’est point pour vous affliger, qu’elles me semblent excessives et peu naturelles. Si le Cardinal n’avait pour but que de témoigner à votre famille de l’attachement et de la reconnaissance, il n’irait pas si loin dans ses faveurs ; mais il est probable qu’il a jeté les yeux sur vous. D’après ce qu’on lui aura dit, vous lui semblez propre à jouer tel ou tel rôle impossible à deviner, et dont il aura tracé l’emploi dans le repli le plus profond de sa pensée. Il veut vous y élever, vous y dresser, passez-moi cette expression en faveur de sa justesse, et pensez-y sérieusement quand le temps en viendra. Mais n’importe, je crois qu’au point où en sont les choses vous feriez bien de suivre cette veine ; c’est ainsi que de grandes fortunes ont commencé ; il s’agit seulement de ne point se laisser aveugler et gouverner. Tâchez que les faveurs ne vous étourdissent pas, mon pauvre enfant, et que l’élévation ne vous fasse pas tourner la tête ; ne vous effarouchez pas de ce soupçon, c’est arrivé à de plus vieux que vous. Écrivez-moi souvent ainsi qu’à votre mère ; voyez M. de Thou, et nous tâcherons de vous bien conseiller. En attendant, mon fils, ayez la bonté de fermer cette fenêtre, d’où il me vient du vent sur la tête, et je vais vous conter ce qui s’est passé ici.

Henry, espérant que la partie morale du discours était finie, et ne voyant plus dans la seconde qu’un récit, ferma vite la vieille fenêtre tapissée de toiles d’araignées, et revint à sa place sans parler.

— À présent que j’y réfléchis mieux, je pense qu’il ne vous sera peut-être pas inutile d’avoir passé par ici,