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Page:Allais - À l’œil.djvu/11

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celui de ce matin ? » — Il s’agissait de l’article d’Alphonse Allais et, pendant quelques instants, ces humbles gens avaient pu croire, effectivement, que la vie était drôle. Résultat émouvant !

L’explication de cette réussite, comme l’a très bien remarqué Alfred Capus, c’est qu’Alponse Allais avait du goût. La muflerie, la bassesse, l’hypocrisie, l’avarice, la méchanceté, lui faisaient horreur. Il avait aussi un grand bon sens, jusque-là qu’il a pu signer Francisque Sarcey de petites parodies d’une drôlerie impayable, et dont l’Oncle était le premier à rire aux larmes.

Ce qui contribuait encore à faire d’Alphonse Allais un homme d’une originalité extraordinaire, c’est qu’il n’était pas seulement humoriste en écrivant et sur le papier ; dans sa conversation, dans ses actes, à chaque instant, il réalisait son humour, il le vivait.

Ai-je besoin d’ajouter que la fin de l’auteur de la Vie drôle fut pathétique ? Je l’ai vu sur son lit de mort, dans une triste chambre d’un hôtel de la rue d’Amsterdam. Son visage avait une gravité, une sérénité, une noblesse admirables.

Si, à l’entrée de l’au-delà, il y a une salle des rapports, celui qui a écrit cette phrase célèbre : « Tous les jours que le bon Dieu fait — et il en fait le bougre ! — » celui-là aura su faire rire et, partant, désarmer M. Saint-Pierre.


Maurice Donnay.