ment, il regrettait de m’avoir amené. Mais pourquoi ce regret ?
— Comment, bondis-je soudain, c’est de toi ce tableau ?
Et je désignais une toile en train sur un chevalet.
— Mais oui, c’est de moi.
— De toi ! cette peinture qui se passe dans la cave d’un nègre ! De toi, que je connus affolé de lumière et de clarté ! De toi, cette chose innommablement brune ! De toi, à qui le seul mot bitume levait le cœur !
— Oui, mon pauvre ami, de moi ! Un jour, peut-être, tu sauras et alors tu me serreras la main très fort et tu auras grand’peine à retenir tes larmes !… Mais assez causé de ce triste sujet, et viens voir l’adorable corps illustré de la jeune Alice.
(Passage supprimé par la Censure.)
— Mais, nom d’un chien ! m’impatientai-je, me diras-tu d’où vient cette évolution brusque et en pis de ta manière ?
— Soit !… Alors, jure-moi de n’en rien dire à âme qui vive !
— Mon ouïe est un sépulcre où tout s’engouffre et meurt !
— Tiens, un joli vers… Eh bien ! voici : Tu as remarqué, en entrant, comme ça sentait le goudron ?
— Délicieusement !… Et ce parfum m’évoque toute une enfance flâneuse, traînée sur les quais de mon vieux Honfleur natal et à jamais chéri.
— Eh bien ! c’est ma peinture qui sent ça !
— Ta peinture ?… Tu fais de la peinture au goudron ?
— Parfaitement ! Le manager… Comment prononces-tu ça en anglais ?
— Le ménédjeuhr.
— C’est bien ça… Le… machin d’un hôtel de Menton, où il ne vient que des Anglais tuberculeux, m’a commandé douze panneaux décoratifs, à condition qu’ils seraient peints à base de goudron, rapport aux émanations bienfaisantes de ce produit… Une idée à lui !
— Et tu as accepté cet odieux compromis ?
— Les temps sont durs, tu sais.
— À qui le dis-tu !
— Cette petite Alice, sans être coûteuse, a ses exigences. Ce matin encore, elle m’a demandé 12 fr. 50 pour des bottines.
— Bigre !
— Oh ! ça n’est rien, ça ! Mais reconnais toi-même que le goudron n’est pas beaucoup fait pour éclaircir une palette.