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Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/132

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Une vraie poire


Tout à coup, ce gros petit bonhomme joufflu qui n’avait pas desserré les lèvres depuis une heure qu’il était devant moi, poursuivit ainsi, à voix haute, son histoire commencée, sans doute, intérieurement :

— Vous comprenez bien que ça ne pouvait pas durer comme ça plus longtemps !

Et comme il me regardait, je crus qu’il était de la plus élémentaire courtoisie de sembler m’intéresser :

— Ça ne pouvait pas durer plus longtemps comme ça ? m’enquis-je non sans sollicitude.

— Non, mille fois non ! Et à ma place vous en eussiez fait tout autant.

— Je ne sais pas trop ! fis-je par esprit de taquinerie et aussi pour pousser mon interlocuteur à de plus précises confidences.

— Vous auriez agi, riposta le gros petit bonhomme joufflu, comme vous auriez cru devoir agir, et moi j’ai agi comme j’ai cru devoir agir… Et la preuve que j’eus raison d’agir ainsi, c’est que je m’en trouve admirablement, de cette détermination, aussi bien au point de vue physique qu’au point de vue moral… Tenez, je suis, à l’heure qu’il est, un gros petit bonhomme joufflu, n’est-ce pas ?… Eh bien ! l’année dernière, à la même époque, j’étais un mince petit bonhomme sec.

— Et au moral, donnez aussi une comparaison.

— Mon âme, l’année dernière, ma pauvre âme, n’était pas à prendre avec des pincettes… Aujourd’hui, on en mangerait sur la tête d’un teigneux.