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Page:Allais - L’Arroseur.djvu/114

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L’ARROSEUR

Je procédais aux premiers détails de ma toilette, quand un coup de sonnette déchira l’air de mon vestibule.

Ma femme de chambre était profondément endormie.

Mon groom, complètement ivre, ronflait dans les bras de la cuisinière, très prise de boisson elle-même.

Quant à mon cocher et mon valet de pied, j’avais perdu l’habitude de leur commander quoi que ce fût, tant ils recevaient grossièrement la plus pâle de mes suppliques.

Je me décidai donc à ouvrir ma porte de mes propres mains.

Le sonneur était un monsieur dont le rôle épisodique en cette histoire est trop mince pour que je m’étale longuement sur la description de son aspect physique et de sa valeur morale.

Du reste, je l’ai si peu apercu, que si j’écrivais seulement quatre mots sur lui, ce seraient autant de mensonges.

— Monsieur Alphonse A… ? fit-il.

— C’est moi, monsieur.

— Eh bien ! voilà, je suis chargé par Mme Charlotte de vous remettre une lettre.

Mme Charlotte ? m’inquiétai-je.

— Oui, monsieur. Mme Charlotte, une ancienne petite amie à vous, de laquelle ma femme et moi sommes les voisins. Cette dame, ignorant votre adresse actuelle, m’a prié de vous retrouver coûte que coûte et de vous remettre cette missive.

Je pris la lettre, remerciai le monsieur et fermai ma porte.

Charlotte ! Était-ce possible que Charlotte pensât encore à moi ! Oh ! cette Charlotte, comme je l’avais aimée ! Et — ne faisons pas notre malin — comme je l’aimais encore !

(Pas un mot de vrai dans cette passion, uniquement mise là pour dramatiser le récit.)

Charlotte ! Ce ne fut pas sans un gros battement de cœur que je reconnus son écriture, une anglaise terriblement cursive, virile, presque illisible, mais si distinguée !