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Page:Allais - L’Arroseur.djvu/14

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L’ARROSEUR

— Puisque je te dis que tu n’y comprendrais rien.

Mes yeux suppliants le firent se raviser.

Colydor s’assit dans un fauteuil, n’alluma pas un excellent cigare et me narra ce qui suit :

« Tu te rappelles le temps infâme que nous prodigua le Seigneur durant tout le joli mois de mai ? J’en profitai pour quitter Paris, et j’allai à Trouville livrer mon corps d’albâtre aux baisers d’Amphitrite.

« En cette saison, l’immeuble, à Trouville, est pour rien. Moyennant une bouchée de pain, je louai une maison tout entière, sur la route d’Honfleur.

« Ah ! une bien drôle de maison, mon pauvre ami ! Imagine-toi un heureux mélange de palais florentin et de chaumière normande, avec un rien de pagode hindoue brochant sur le tout.

« Entre deux baisers d’Amphitrite, j’excursionnais vaguement dans les environs.

« Un dimanche entre autres, — oh ! cet inoubliable dimanche ! — je me promenais à Houlbec, un joli petit port de mer ma foi, quand des flots d’harmonie vinrent me submerger tout à coup.

« À deux pas, sur une place plantée d’ormes séculaires, une fanfare, probablement municipale, jetait au ciel ses mugissements les plus mélodieux.

« Et autour, tout autour de ces Orphées en délire, tournaient sans trêve les Houlbecquois et les Houlbecquoises.

« Parmi ces dernières…

« Crois-tu au coup de foudre ? Non ? Eh bien, tu es une sinistre brute !

« Moi non plus, je ne croyais pas au coup de foudre, mais maintenant !…

« C’est comme un coup qu’on reçoit là, pan ! dans le creux