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Page:Allais - L’Arroseur.djvu/19

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L’ARROSEUR

Pas plus tard qu’hier, on m’a montré un monsieur, dont l’aspect est celui d’un parfait gentleman, et qui, pourtant, a fait fortune, grâce à des procédés que ma plume se cabre à conter.

Ayant gagné quelques sous à Nice, voilà deux ou trois ans, dans le commerce des confetti et spirales noirs pour personnes en deuil, il alla passer un mois dans un petit watering-place du Calvados qui s’appelle Lion-sur-Mer.

L’idée lui vint de fonder dans cette localité une maison de banque, qu’il baptisa froidement : Crédit Lionnais.

L’idée est simple, me direz-vous.

Parfaitement, mais ne fallait-il pas moins y songer.

Tout de suite, son établissement prospéra comme un putois.

Les prospectus portaient ces mots alléchants : seule maison garantissant 15 ou 20 pour cent, sur les placements de père de famille.

Auriez-vous hésité, vous qui haussez les épaules, à porter vos quatre sous vers cette caisse bénie ? Vous auriez été le seul, alors.

Devant l’immense succès de son entreprise, notre financier dut ouvrir plusieurs succursales en province et à Paris, dans un des plus somptueux immeubles du quartier de la Bourse.

Son titre habilement choisi de Crédit Lionnais lui permettait d’établir de petits malentendus, non sans profit pour lui.

Apportait-on de l’argent ? Il l’acceptait sans que tressaillît un muscle de sa face.

En venait-on toucher ? « Pardon, disait-il gentiment, c’est avec un i que nous nous écrivons. Adressez-vous en face. »

En beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, la place de Paris fut envahie par son papier (pour plus d’un million, m’affirmèrent les frères Cohen).

C’est alors qu’il imagina un petit truc, pas vertigineuse-