Aller au contenu

Page:Allais - L’Arroseur.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
L’ARROSEUR

Il y a quelques années, mon ami Georges Auriol et moi, nous nous arrêtâmes un jour à la terrasse du café d’Harcourt, et nous installâmes à une table voisine de celle où un monsieur buvait un bock.

Comme il faisait très chaud, le monsieur avait déposé sur une chaise son chapeau, au fond duquel mon ami Georges Auriol put apercevoir le nom et l’adresse du chapelier : P. Savigny, rue de la Halle, à Tréville-sur-Meuse.

Avec ce sérieux qu’il réserve exclusivement pour des entreprises de ce genre, Auriol fixa notre voisin ; puis, très poliment :

— Pardon, monsieur, est-ce que vous ne seriez pas de Tréville-sur-Meuse ?

— Parfaitement ! répondit le monsieur, cherchant lui-même à se remémorer le souvenir d’Auriol.

— Ah ! reprit ce dernier, j’étais bien sûr de ne pas me tromper. Je vais souvent à Tréville… J’y ai même un de mes bons amis que vous connaissez peut-être, un nommé Savigny, chapelier dans la rue de la Halle.

— Si je connais Savigny ! Mais je ne connais que lui !… Tenez, c’est lui qui m’a vendu ce chapeau-là.

— Ah ! vraiment ?

— Si je connais Savigny !… Nous nous sommes connus tout gosses, nous avons été à la même école ensemble. Je l’appelle Paul, lui m’appelle Ernest.

Et voilà Auriol parti avec l’autre dans des conversations sans fin sur Tréville-sur-Meuse, localité dont mon ami Georges Auriol ignorait jusqu’au nom, il y a cinq minutes.

Mais moi, un peu jaloux des lauriers de mon camarade, je résolus de corser sa petite blague et de le faire pâlir d’envie.

Un rapide coup d’œil au fond du fameux chapeau me révéla les initiales : E. D.-H.

Deux minutes passées vers le Bottin du d’Harcourt me suf-