selon le vœu de papa, je dois devenir la femme d’un pilote ou, tout au moins, d’un observateur ?
Bergemont aîné secoua la tête.
— Ah ! ton pauvre père, fit-il, me rappelle ces deux hurluberlus de Bouvard et Pécuchet dont Flaubert a conté les vicissitudes. Tiens ! veux-tu lire ça ! Tu y retrouveras, trait pour trait, l’auteur de tes jours !
— Voyons, mon oncle, ce n’est pas sérieux, cette histoire d’aviateur ?
— C’est même bouffon, prononça Tristan Bergemont, mais ton père n’en veut pas démordre. La nuit ne lui a pas porté conseil, car ce matin même, il est revenu sur ce sujet avec beaucoup de complaisance. L’idée d’avoir un gendre aviateur le séduit de plus en plus !
— Et vous, mon oncle, qu’est-ce que vous en pensez ?
— Moi, mon enfant, je trouve ça du dernier grotesque !
— Alors, vous ne l’approuvez pas et vous seriez éventuellement disposé à empêcher un pareil projet aussi saugrenu ?
— Oh ! par tous les moyens permis !
— Dans ce cas, mon oncle, dit Elvire, je n’hésite pas à vous proposer un pacte d’alliance et à vous confier mon plus cher secret !
M. Tristan Bergemont leva la tête et regarda sa nièce d’une manière plus goguenarde qu’interrogative.
— C’est le moment ou jamais, fit-il, de déclarer, en parodiant Racine, que je ne mérite peut-être :
— Ah ! permettez, mon oncle, repartit Elvire, mon plus cher secret ne saurait renfermer une indignité quelconque !
— C’est juste, mon enfant ! pardonne-moi, j’ai été emporté par le plaisir de la citation. Ce cher secret, en quoi consiste-t-il ?
La jeune fille, plus embarrassée qu’elle ne s’y attendait, murmura :
— Mon oncle, il faut que vous sachiez tout d’abord que j’aime et que je suis aimée. Non pas dans les conditions que souhaite papa ; celui que je veux épouser n’est pas un homme de sport, un ingénieur, un savant, mais un artiste !