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Page:Alma - L'aviateur inconnu, 1931.pdf/7

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L’AVIATEUR INCONNU

non loin de Dieppe, où ils avaient fait construire une spacieuse villa. Néanmoins leurs goûts, diamétralement opposés, se révélaient dans l’architecture de cette maison qui, de style très moderne jusqu’au deuxième étage, affectait ensuite un caractère moyen âge tout à fait imprévu. En bas, les portes et fenêtres étaient dignes de l’Exposition des arts décoratifs. En haut, l’ogive triom­phait. Rien de plus disparate, de plus baroque, mais les deux frères, enchantés d’avoir ainsi une demeure à leur convenance, sans être forcés d’habiter séparément, n’attachaient aucune importance au jugement du public.

L’aîné, Tristan, maigre, barbu, sentencieux et moqueur, se flattait d’être philosophe, avait beaucoup lu, beau­coup retenu et le démontrait par des citations abondantes. Le cadet, Félix, grassouillet, tout rasé, optimiste et enthousiaste, s’intéressait prodigieusement à toutes les découvertes et avait le culte aveugle de la science. Alors que Tristan professait un mépris absolu pour ses contemporains, très inférieurs, à son avis, aux penseurs de jadis, et enseignait à tout venant que le progrès est un mot vide de sens, Félix, abonné à toutes les revues de mécanique et d’électricité, ne pensait qu’à adopter les inventions sitôt qu’elles voyaient le jour. Tristan, logé au deuxième étage de la villa, y vivait au milieu des livres ; Félix ne rêvait que transformation de l’éclairage, du chauffage et de l’hydraulique. Tristan avait exigé, pour son usage personnel, le traditionnel feu de bois ; Félix employait des radiateurs électriques et, dans la cuisine, avait fait remplacer le classique fourneau par un appareil compliqué, mais ultra moderne, qui mettait au désespoir la cuisinière Noémi, cordon bleu fidèle aux vieux usages.

Par bonheur, Elvire était là pour maintenir le bon accord, en dépit de tant de divergences. La fille unique de M. Bergemont cadet n’avait pas seulement reçu en partage la beauté, le charme et la séduction, elle possédait encore une bonne humeur inaltérable, un caractère exquis et, pour tout résumer, elle était foncièrement bonne. Les jours où son père et son oncle, à la suite d’une algarade un peu vive, se tournaient résolument le dos et menaçaient d’éterniser la brouille, Elvire savait intervenir avec une telle adresse, un tact si parfait, que,