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LES AVENTURIERS DE LA MER


soixante-sept marins et passagers qui se trouvaient à bord de la Doris, trente et un périrent ; on comptait parmi les morts le commandant du navire, ayant succombé après avoir arraché aux flots trois hommes de son équipage.

C’est aussi un naufrage au lieu d’arrivée qui rend plus émouvant le récit de la perte du Saint-Géran, vaisseau de la Compagnie des Indes qui, parti de Lorient le 24 mars 1744, se trouvait, après une traversée de cinq mois, à quelques lieues de l’île de France. Son commandant, après avoir hésité à profiter d’un beau clair de lune pour venir mouiller au Tombeau, jugea prudent de tenir la cape sous la grand’voile, jusqu’au lendemain. À deux heures et demie du matin, le vaisseau toucha. La lame étant fort grosse le prit en travers et le poussa sur les récifs. Dès le premier moment sa position fut jugée sans ressource.

Il y avait à bord cent malades ; et, parmi les passagers, deux charmantes jeunes personnes, Mlles Mallet et Caillon, que plusieurs officiers tentèrent en vain de sauver. Bernardin de Saint-Pierre a immortalisé dans l’une d’elles la chaste héroïne de son roman. Quelques hommes de l’équipage échappèrent seuls à ce naufrage en vue du rivage, auquel le vaisseau de la Compagnie venait aborder de si loin !

Il arrive qu’un navire fait côte pour entrer dans un port difficile. On voit s’avancer, par exemple, un steamer courant sous ses huniers au bas-ris, de façon à ranger à l’honneur le bout d’une jetée. Mais au moment où il gouverne pour donner dans le creux du chenal, une lame monstrueuse, poussée, soulevée par un grain furieux, enlève sur la crête écumante qu’elle agite dans l’air, le pauvre navire qu’elle couche au grand sur l’un de ses flancs.

C’est ainsi qu’on vit un jour au Havre le Francis-Depau, grand paquebot américain jeté, en quelques secondes, à une demi-encablure de la jetée du sud-est, sur le terrible poulier qu’il voulait éviter comme l’écueil le plus fatal qu’il eût à redouter. Plus de manœuvre à tenter pour lui désormais ; plus de secours même à espérer pour son équipage, de ce rivage dont il n’est séparé que par deux longueurs de navire. Il resta couché sur le côté de tribord en livrant, comme abattu en carène, son large flanc de bâbord à toutes les lames. Elles vinrent déferler sur lui, en faisant voler leur poudrin et leur écume jusque par-dessus ses mâts, qui menaçaient à chaque instant de tomber et d’être emportés par la mer et par le vent furieux qui les ébranlait jusque dans leur emplanture.