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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/151

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LES AVENTURIERS DE LA MER


d’eau s’était déclarée dans la coque ; grâce à une pompe puissante, l’équipage avait pu maintenir le navire à flot. Depuis quelques jours cette voie d’eau augmentant, on avait dû jeter à la mer une partie de la cargaison. Mais laissons le capitaine du Jean-Baptiste faire lui-même l’émouvant récit des dangers auxquels il échappa, ainsi que son équipage, dans des circonstances désespérées.

« Le 17, à une heure du matin, un ouragan furieux se déclare ; réduit la voilure ; mis en cape sous les huniers bas. À huit heures du matin, tourmente de vent ; la mâture en est toute tordue ; le baromètre est descendu à 714 millimètres ; réussi à serrer le petit hunier ; pompé constamment ; la mer est démontée. De midi à quatre heures, tous les bastingages sont enlevés ; les coups de mer brisent à bord comme sur des roches ; tout l’équipage est aux pompes ; il a été impossible de les maintenir franches ; descendu dans la cale ; l’eau est au-dessus des carlingues et gagne constamment. À six heures du soir, le petit foc, quoique tout neuf, est enlevé ; il n’y reste que les ralingues ; tout est balayé sur le pont ; la mer emporte tout, jusqu’au logement de l’équipage ; le navire s’abîme.

« Nous sommes perdus sans ressource. Deux mètres d’eau dans la cale ; la tourmente m’enlève encore mon foc d’artimon, et mon grand hunier commence à partir : notre heure est arrivée. Mais la Providence veille sur nous. À soixante lieues, dans l’est, se trouve également un navire qui est aussi en cape, abîmé par la tempête ; quoique chargé légèrement, il ne résiste plus à la tourmente. Ce navire est près d’engager ; le capitaine se décide à fuir vent arrière pour le salut commun ; depuis la veille au matin, six heures, il a franchi dans l’ouest la distance qui nous séparait, et vient nous apparaître comme un sauveur et comme seul moyen de salut. Je mets le pavillon en berne ; la Léonie, c’est le nom du bâtiment commandé par le capitaine Broutelle, manœuvre immédiatement pour se mettre sous le vent du Jean-Baptiste. Je prends l’avis de l’équipage pour abandonner le navire : tous sont de mon avis, qui est que sous peu il sombrera.

« Alors commence une scène aussi émouvante qu’on puisse l’imaginer. L’ouragan, encore furieux, rend la mer si grosse, qu’il serait impossible de songer à mettre une embarcation à l’eau ; d’un autre côté, le navire coulant sous nos pieds ne me laisse aucune alternative. La Léonie nous envoie des bouées, des échelles, tout ce qu’on possède à bord pour être mis à la traîne comme va-et-vient : nous ne pouvons rien