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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/160

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LES AVENTURIERS DE LA MER


pour échapper à une mort plus affreuse. Une partie d’entre les naufragés purent gagner la pente verticale et glissante du rocher contre lequel le navire venait d’échouer.

À en croire le docteur Spolasco, il se multiplia en cette circonstance. Une femme appelait désespérément au secours ; le docteur, qui en ce moment serrait son fils dans ses bras, le posa pour porter secours à la malheureuse ; mais en revenant vers le jeune garçon, il constata avec horreur que l’enfant n’était plus là : une minute avait suffi pour que le pauvre petit fût enlevé par une vague…

Ceux qui pouvaient atteindre la roche néfaste qu’il faut peut-être appeler la roche du salut, — car le Killarney se fût brisé ailleurs, — s’y cramponnaient comme ils pouvaient. Les voilà groupés sur un espace où la moitié moins de monde eût tenu à l’étroit : devant eux la mer mugissante, la mer furieuse de se voir enlever sa proie ; sous leurs pieds, la mer encore ! partout la mer ! Au bout de quelques instants, les naufragés entendent redoubler les cris : c’était le navire tout entier, qui achevait de s’engouffrer. Puis plus rien…

Les survivants ne voyaient plus que les vagues, battant le pied du rocher sur lequel ils avaient trouvé un refuge. Ils étaient là, mouillés jusqu’aux os, saisis par le froid de janvier, épuisés, pouvant à peine se soutenir, s’accrochant aux aspérités. À tout moment l’un d’eux, à bout de forces, se détachait du groupe, glissait sur la pente inclinée ; le malheureux appelait : « Soutenez-moi, ayez pitié ! Je suis perdu » Vaine prière ! Les autres ne pouvaient pas bouger sans courir les mêmes dangers. L’abîme s’entr’ouvrait. C’est ainsi que la femme, sauvée par le docteur au prix de la vie de son enfant, disparut dès la première nuit : un cri, un bruit sourd, et ce fut tout.

Sur le rocher aride et à pic, pas d’eau à boire, rien à manger. En proie à toutes sortes de tortures, ils restèrent ainsi, sans assistance, depuis le jeudi jusqu’au lundi matin.

Viendrait-on à leur secours ? Ils étaient si près du rivage ! Au jour, ils aperçurent distinctement de nombreux paysans qui, avec un flegme tout irlandais, recueillaient les épaves du Killarney, les deux ou trois cents porcs que la mer rejetait. Ces affamés renouvelaient le droit d’aubaine et de bris des populations celtiques. Paddy pensait que « la créature » convenablement salée engraisserait la cuisine. Ces Irlandais n’étaient pas sans voir les naufragés sur leur rocher ; mais ils ne faisaient rien pour tenter leur sauvetage. Malgré les signaux déses-