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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/189

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LES AVENTURIERS DE LA MER


Les Romains, relativement civilisés, s’efforcèrent d’édicter des lois pour empêcher les naufragés d’être pillés et molestés ; des peines sévères atteignaient les forbans de la côte, soit qu’ils allumassent des feux pour tromper les marins et les attirer sur des écueils, soit que n’ayant contribué en rien à la perte du navire, ils eussent bénéficié du sinistre. Les lois de Constantin consacrèrent ce principe : qu’il était odieux que le fisc s’enrichit par la misère des gens de mer, alors même que les flots aveugles les avaient épargnés.

Mais les invasions des barbares qui firent crouler l’empire eurent pour première conséquence d’amener la prompte désuétude des lois qui protégeaient la navigation. L’atroce coutume de s’emparer de la personne des malheureux échappés au naufrage et de voler les débris de leur fortune se retrouva tout naturellement de nouveau mise en vigueur. Cependant, ces pratiques abominables ne furent pas admises partout sans réclamation ; le code des Wisigoths condamnait à une amende considérable ceux qui dépouillaient les naufragés ; et l’empire d’Orient durant le Moyen-Âge fit revivre les belles lois romaines. Ce ne sont là que des exceptions.

Lorsque l’impitoyable système féodal eut étreint la France comme avec une main de fer, les seigneurs terriens trouvèrent avantageux de mettre au nombre de leurs prérogatives — le droit de faire main-basse sur les épaves des navires que l’ouragan jetait sur leurs côtes — à leur portée ; quelques-uns de ces seigneurs, agissant en cela comme de véritables forbans, s’entendaient avec des pilotes sans foi ni loi, pour amener les navires sur l’écueil ils devaient se briser.

En ces siècles se développèrent — se régularisèrent — les horribles pratiques des naufrageurs du littoral breton. Sur la côte du Léonais, au nord de Lesneven, la péninsule de Pontusval, qui porte encore le nom de « Terre des païens », fournissait toute une population — à la face étroite et longue — de gens sans aveu qui pillaient pour leur propre compte les navires que la mer envoyait comme une bonne aubaine — la mer, cette « bonne vache qui mettait bas pour eux ! »

Il leur arrivait d’aider un peu la Providence du naufrageur, en promenant des signaux trompeurs sur la côte ; pendant la nuit ils attachaient des feux aux cornes d’un bœuf, et l’animal dans sa marche balancée donnait l’illusion des feux d’un navire : les marins couraient donc vers la terre sans défiance. Criminel ou avoué, ce brigandage fut inscrit dans nos lois sous le titre de Droit de bris et de naufrage. —