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Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/125

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sent. Aucune heure ne revient. — Diffère, et tu ne feras rien. Le possible d’aujourd’hui est l’impossible de demain. Abats la perdrix pendant qu’elle passe.


XXVIII. — CE QUI CHARME.


La mélancolie et la toilette de deuil donnent aux femmes une profondeur d’expression plus belle que la beauté même. Les yeux humides et le teint recueilli exercent la plus pénétrante des séductions, ils touchent. La douceur résignée émeut et captive plus encore que la grâce brillante, et qui ne préfère cent fois à la splendeur de la Vénus la langueur de la Madone ? C’est qu’il y a plus d’âme dans le chagrin que dans la joie, dans une larme que dans un sourire, et que ce qui charme, attire, touche, saisit, enchaîne, c’est l’âme.


XXIX. — SOIR D’AUTOMNE.


Ravissante après-dînée ! Paysage d’automne éblouissant et tendre, lac de cristal, lointains purs, air doux, monts neigeux, feuillages jaunis, ciel limpide, calme pénétrant, rêverie des derniers beaux jours. Je ne pouvais m’arracher de cette terrasse. Deux cygnes jouaient sur l’onde transparente, et plongeant l’un après l’autre, s’enveloppaient d’anneaux onduleux et concentriques. Quelques bateaux au loin rayaient d’argent le miroir bruni des eaux. Tout respirait la langueur caressante et l’éclat charmant de la beauté qui s’éloigne