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Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/157

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Clarke, la méchante Darkmans, etc.), se meuvent autour des deux hommes essentiels : Aram, l’âme profonde, le savant universel, au caractère effrayant, et Walter, le jeune homme hautain, audacieux, passionné, instrument de la vengeance céleste. — Mais le roman est en général peu goûté, parce que la pensée directe de l’auteur est difficile à saisir.

La voici, je crois. « Toute passion peut mener au crime, même la passion de la science, et un seul crime suffit à détruire l’édifice de toute une vie éclatante de grandeur : donc terreur pour soi-même. Mais un crime ne fait pas tout l’homme criminel, et l’ange de la conscience ne se laisse pas chasser aisément ; nul bon n’est sans tache, aucun coupable n’est sans vertu : donc (ceci sans doute à l’adresse de l’impitoyable sévérité des sociétés corrompues) donc charité pour les autres. »

Et dans cette pensée combien d’autres pensées ! — Plus une âme est haute, plus elle est tentée, et ses plus petites fautes prennent une gravité proportionnelle à sa propre valeur ; l’erreur de l’ange est le crime du séraphin. — La sérénité de la science n’est pas encore une garantie de vertu, car l’intelligence grandiose d’Aram aboutit au fatalisme, et le fatalisme laisse commettre le crime. — Sans la croyance en un Dieu juste, et sans la soumission intérieure, l’homme le plus fort n’est pas assez fort contre la tentation. — Aram est un homme presque parfait, il a tous les dons les plus rares de l’intelligence, des connaissances sans bornes, une énergie de volonté indomptable, un cœur généreux,