Aller au contenu

Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au poignet les marques de ses ongles. Que n’ai-je gardé aussi vive sur mes lèvres l’impression du baiser qu’elle me donna !

— Quoi, monsieur l’abbé, m’écriai-je, elle vous donna un baiser ?

— Soyez assuré, mon fils, me répondit mon bon maître, qu’à ma place vous en eussiez reçu un tout semblable, à la condition toutefois que vous eussiez saisi, comme j’ai fait, l’occasion. Je crois vous avoir dit que je tenais cette demoiselle étroitement embrassée. Elle essayait de fuir, elle étouffait ses cris, elle murmurait des plaintes.

— Lâchez-moi, de grâce ! Voici le jour, un moment de plus et je suis perdue.

Ses craintes, sa frayeur, son péril, quel barbare n’en aurait point été touché ? Je ne suis point inhumain. Je mis sa liberté au prix d’un baiser qu’elle me donna tout de suite. Croyez-m’en sur ma parole ; je n’en reçus jamais de plus délicieux.

À cet endroit de son récit, mon bon maître, levant le nez pour humer une prise de tabac, vit mon trouble et ma douleur qu’il prit pour de la surprise.

— Jacques Tournebroche, reprit-il, tout ce qui me reste à dire vous surprendra bien