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Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/273

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avait gardé la grâce inaltérable de son âme. Il abondait en aimables discours, et l’on eût dit un de ces sages que le Télémaque nous montre conversant sous les ombrages des Champs-Élysées, plutôt qu’un homme poursuivi comme meurtrier et réduit à une vie errante et misérable. M. d’Astarac, s’imaginant que j’avais passé la nuit à la rôtisserie, me demanda avec obligeance des nouvelles de mes bons parents, et, comme il ne pouvait s’abstraire un moment de ses visions, il ajouta :

— Quand je vous parle de ce rôtisseur comme de votre père, il est bien entendu que je m’exprime selon le monde et non point selon la nature. Car rien ne prouve, mon fils, que vous ne soyez engendré par un Sylphe. C’est même ce que je croirai de préférence, pour peu que votre génie, encore tendre, croisse en force et en beauté.

— Oh ! ne parlez point ainsi, monsieur, répliqua mon bon maître en souriant ; vous l’obligerez à cacher son esprit pour ne pas nuire au bon renom de sa mère. Mais, si vous la connaissiez mieux, vous penseriez comme moi qu’elle n’a point eu de commerce avec un Sylphe ; c’est une bonne chrétienne qui n’a jamais accompli l’œuvre de chair qu’avec son mari et