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Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/392

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du quartier. Je lui retirai sa charge au plus vite. Mais ma bonne mère, à qui il fait croire qu’il a des secrets pour gagner le ciel, lui donne la soupe et le vin. Ce n’est pas un méchant homme, et il a fini par m’inspirer une espèce d’attachement.

Plusieurs savants et quelques beaux esprits fréquentent dans ma boutique. Et c’est un grand avantage de mon état que d’y être en commerce quotidien avec des gens de mérite. Parmi ceux qui viennent le plus souvent feuilleter chez moi les livres nouveaux et converser familièrement entre eux, il est des historiens aussi doctes que Tillemont, des orateurs sacrés qui égalent en éloquence Bossuet et même Bourdaloue, des poètes comiques et tragiques, des théologiens en qui la pureté des mœurs s’unit à la solidité de la doctrine, des auteurs estimés de nouvelles espagnoles, des géomètres et des philosophes, capables, comme M. Descartes, de mesurer et de peser les univers. Je les admire, je goûte leurs moindres paroles. Mais aucun, à mon sens, n’égale en génie le bon maître que j’eus le malheur de perdre sur la route de Lyon ; aucun ne me rappelle cette incomparable élégance de pensée, cette douce sublimité, cette étonnante richesse d’une