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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/136

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Le temps coula. Insensiblement, comme le corps charmant de l’amante d’Hamlet, le souvenir de la jeune fille qui portait des fleurs disparut de ma mémoire. Puis, soudain, il me ressouvint d’elle, un matin d’automne, en entendant ma chère maman chanter  : Adieu, mon petit navire !…

Je demandai : — Maman, qu’est devenu Monsieur Marc Ribert ? Il y a plus de cinq ans que je n’ai entendu parler de lui ni de sa fille.

— Monsieur Marc Ribert est mort, mon enfant. Comment ne le sais-tu pas ?… sa fille est devenue folle, d’une folie très douce. Elle garde précieusement dans une boîte des cailloux qu’elle prend pour des perles et des diamants. Elle les fait admirer et les donne aux personnes qui viennent la voir. Sa folie prend encore d’autres formes plus singulières. Elle dit qu’elle ne peut pas lire parce que, quand elle ouvre un livre, à peine regarde-t-elle une page, que les lettres s’envolent comme des mouches en bourdonnant dans la chambre. Aussi ne veut-elle lire que des bouquets ; elle les déchiffre très bien, car elle connaît le langage des fleurs. Mais voilà que maintenant,