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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/139

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théâtre sont avares de leurs faveurs, il fallut enfin que la pièce parût de sorte à ne point offenser d’innocentes oreilles.

Pendant vingt-quatre heures, je vécus, agité de crainte et d’espérance, dévoré de fièvre, dans l’attente de cette félicité inouïe, et qu’un coup soudain pouvait détruire. On devait craindre jusqu’à la dernière minute que le docteur ne fût appelé auprès d’un malade. Je crus que, le jour de la représentation, le soleil ne se coucherait jamais. Le dîner, dont je n’avalai pas une bouchée, me parut interminable, et je fus dans des transes mortelles d’arriver en retard. Ma mère n’en finissait pas de s’habiller. Elle craignait, en manquant les premières scènes, de désobliger l’auteur et perdait cependant un temps précieux à arranger des fleurs à son corsage et dans ses cheveux. Ma chère maman étudiait devant son armoire à glace sa robe de mousseline blanche recouverte d’une tunique transparente semée de pois verts, et semblait attacher une sérieuse importance à l’ordre de sa coiffure, à la ligne que dessinait sa berthe sur son corsage, aux broderies de ses manches courtes et à diverses autres circonstances de sa toilette que je jugeais