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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/141

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dû la détruire en me rappelant que j’assistais aux jeux du théâtre, les planches, les frises, les bandes de toile peinte qui représentaient le ciel, ces rideaux qui encadraient la scène, me retenaient encore plus fortement dans le cercle magique. Le drame nous transportait aux dernières années du règne de Charles VII. Et pas un des personnages qu’il fit passer sur la scène, non pas même le veilleur de nuit et le sergent du guet, ne se montra à mes yeux sans y laisser une vive image. Mais quand parut Marguerite d’Écosse, un trouble extraordinaire s’empara de moi, je me sentis brûlant et glacé et fus près de défaillir. Je l’aimai. Elle était belle. Je n’aurais jamais cru qu’une femme pût l’être autant. Elle apparut pâle et mélancolique dans la nuit. La lune, qu’on reconnaissait tout de suite pour une lune du moyen âge à cause de son cortège de nuages lugubres, et par sa visible amitié pour les clochers, versait sur la jeune dauphine des rayons d’argent. Je ne sais dans le tumulte de mes souvenirs quel ordre suivre ni comment achever mon récit. J’admirai que Marguerite fût si blanche et, lui voyant les paupières bleues, je pensai que c’était un signe d’aristocratie. Femme du