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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/153

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goûter sur son sein la volupté qu’elle mêle à la mort. Je lui demandais de me livrer sa beauté désespérante. Comme on change peu ! En écrivant ces lignes, je me sens agité de tous les frissons de mon enfance.

Je me savais capable d’amitié et j’en éprouvai pour Mouron. Succédant à une longue inimitié, ma tendresse pour lui avait jailli soudain avec force, et le charme de Mouron la rendait exquise. Je goûtais son esprit d’un fini précieux et son caractère ferme dans sa douceur. Le seul danger qui menaçât notre parfaite concorde venait de cette tendance à l’exagération qui a souvent gâté mes meilleures intentions. L’ayant trop longtemps méconnu, j’admirais Mouron, par compensation, avec un excès fatigant pour lui comme pour moi. Et ce n’était pas seulement sa modestie que je risquais d’offenser, mais un sentiment de la mesure qui faisait le fond même de son esprit et de son caractère.

Je ne savais pas que j’aimais Chazal et cette ignorance paraîtra incompréhensible, quand j’aurai dit que je ne pouvais voir et entendre Chazal sans être illuminé de joie. Je sentais l’agreste beauté de son âme, je goûtais la saveur