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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/164

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La voie ferrée allait à cette époque jusqu’à Carentan. De ce petit port où, dans les rues tortueuses, travaillent, adossées aux vieilles murailles, les dentellières hâlées, la diligence me conduisit à Granville.

Le père Gonse m’y attendait. Après m’avoir offert dans un cabaret du faubourg deux moques d’un cidre très dur, qui me fit mal à la tête, il m’emmena dans sa carriole au village de Saint-Pierre dont il était maire, et où il possédait de grasses prairies qui lui donnaient du bien sans peine.

Rubicond, de forte encolure, il montrait une grande capacité de boire et de gagner, savait à peine lire et savait la loi mieux que son notaire, et, tout en patoisant, contait aussi bien que Béroald De Verville. Sa femme, toute fluette, plus vieille que son âge, de bon ton, avait dans sa mise et son allure cet air de religieuse qu’on retrouvait, en ce temps-là, chez la plupart des paysannes riches. Leur fille Mathilde tenait de son père pour la force et la santé ; belle fille peut-être sous le vermillon de son visageBet le fagotage de sa personne, et point sotte, non plus que ses parents. Mais je ne faisais nulle attention à elle ; timide