Page:Anatole France - M. Bergeret à Paris.djvu/79

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tants. Encore cette douceur est-elle pâle et triste. Quant à l’avenir, on ne le peut regarder en face, tant il y a de menaces sur son visage ténébreux. Et lorsque tu m’as dit, Zoé : « Ce sera ton cabinet de travail », je me suis vu dans l’avenir, et c’est un spectacle insupportable. Je crois avoir quelque courage dans la vie ; mais je réfléchis, et la réflexion nuit beaucoup à l’intrépidité.

— Ce qui était difficile, dit Zoé, c’était de trouver trois chambres à coucher.

— Assurément, répondit M. Bergeret, l’humanité dans sa jeunesse ne concevait pas comme nous l’avenir et le passé. Or ces idées qui nous dévorent n’ont point de réalité en dehors de nous. Nous ne savons rien de la vie ; son développement dans le temps est une pure illusion. Et c’est par une infirmité de nos sens que nous ne voyons pas demain réalisé comme hier. On peut fort bien concevoir des êtres organisés de façon à percevoir simultanément des phénomènes