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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/120

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autrefois une poésie qui l’avait transportée, mais dont elle ne se rappelait plus l’auteur, parce qu’elle se trouvait dans un livre qui renfermait des morceaux de différents poètes.

Je récitais tout ce que je savais d’élégies. Mais les vers se perdirent pour la plupart dans les cris des enfants qui s’entregriffaient horriblement sous la table.

Au dessert, je connus que j’aimais Mme Planchonnet. Et cet amour était si généreux que, loin de l’étouffer dans mon cœur, je le répandais en longs regards et en paroles abondantes. Je m’expliquai sur la vie et la mort et j’ouvris mon âme tout entière à Mme Planchonnet qui, laissant couler ses paupières sur ses beaux yeux bleus, et penchant son visage amaigri que plissait la fatigue, me disait d’une voix molle : « N’est-ce pas, Monsieur ? » et tâchait de sourire.

J’avais encore beaucoup à lui dire quand elle nous quitta pour aller coucher les petits qui, les jambes en l’air, dormaient profondément sur leurs chaises. Ce départ me laissa pensif en face de Planchonnet, qui versait des liqueurs. Je lui trouvai l’air d’une brute. Sa tranquillité pesante m’irritait. Mais j’étais inspiré par les sentiments les plus nobles. Je souhaitai inté-