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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/140

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bonhomme appela sons fils Onésime dans la petite cage grillée qui, depuis trente ans, lui servait de bureau et d’où l’on pouvait surveiller les commis du magasin en faisant des écritures. Et, là, il lui tint ce langage :

« Je ne suis plus jeune, et j’ai envie de finir ma vie dans le jardinage. J’ai toujours eu envie de greffer des poiriers. La vie est courte, mais on revit dans ses enfants. L’auteur de la nature nous a accordé cette immortalité sur la terre. Tu as vingt ans. À cet âge, je vendais de la vaisselle dans les foires. J’ai conduit ma charrette à travers tous les départements de la République, et il m’est arrivé plus d’une fois de dormir sous la bâche, au bord d’un chemin, dans la pluie, dans la neige. L’existence, qui m’a été dure, te sera facile. Je m’en réjouis, puisque ta vie est la suite de la mienne. J’ai marié ta sœur à un avocat. Il est temps que je donne à ta vertueuse mère et à moi le repos que nous avons mérité tous les deux. Je me suis haussé dans la société par mon travail : j’ai fait mon instruction dans les almanachs et dans les papiers répandus par toute la France à l’époque où le pays établissait sa constitution au milieu des troubles. Toi, tu as été enseigné dans un