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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/15

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Petits-Augustins jusqu’au bout, et je pensais bien que c’était le bout du monde.

La rue des Petits-Augustins s’appelle aujourd’hui rue Bonaparte. Au temps qu’elle était au bout du monde, j’avais vu que, de ce côté, les bords de l’abîme étaient gardés par un sanglier monstrueux et par quatre géants de pierre, assis en longues robes, un livre à la main, dans un pavillon, sur une grande cuve pleine d’eau, au milieu d’une plaine bordée d’arbres, près d’une immense église. Vous ne me comprenez pas ? vous ne savez plus ce que je veux dire ?… Hélas ! après une vie d’opprobre, le pauvre sanglier de la maison Bailli est mort depuis longtemps. Les générations nouvelles ne l’ont point vu subir, captif, les outrages des écoliers. Elles ne l’ont point vu couché, l’œil à demi clos, dans une résignation douloureuse. À l’angle de la rue Bonaparte, où il était logé dans une remise peinte en jaune et ornée de fresques représentant des voitures de déménagement attelées de percherons gris pommelé, s’élève maintenant une maison à cinq étages. Et quand je passe devant la fontaine de la place Saint-Sulpice, les quatre géants de pierre ne m’inspirent plus de terreurs mystérieuses. Je sais,