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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/23

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du monde. La chambre verte, dans laquelle ma mère mettait mon petit lit près du sien, je la considérais, dans sa douceur auguste et dans sa sainteté familière, comme le point sur lequel le ciel versait ses rayons avec ses grâces, ainsi que cela se voit dans les images de sainteté. Et ces quatre murs, si connus de moi, étaient pourtant pleins de mystère.

La nuit, dans ma couchette, j’y voyais des figures étranges, et, tout à coup, la chambre si bien close, tiède, où mouraient les dernières lueurs du foyer, s’ouvrait largement à l’invasion du monde surnaturel.

Des légions de diables cornus y dansaient des rondes ; puis, lentement, une femme de marbre noir passait en pleurant, et je n’ai su que plus tard que ces diablotins dansaient dans ma cervelle et que la femme lente, triste et noire était ma propre pensée.

Selon mon système, auquel il faut reconnaître cette candeur qui fait le charme des théogonies primitives, la terre formait un large cercle autour de ma maison. Tous les jours, je rencontrais allant et venant par les rues, des gens qui me semblaient occupés à une sorte de jeu très compliqué et très amusant : le jeu de la