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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/25

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beau quai Malaquais où Mme Mathias, après Nanette, Mme Mathias, aux yeux de braise, au cœur de cire, promenait ma petite enfance, des armes précieuses étincelaient aux étages des boutiques, de fines porcelaines de Saxe s’y étageaient, brillantes comme des fleurs. La Seine qui coulait devant moi me charmait par cette grâce naturelle aux eaux, principe des choses et source de la vie. J’admirais ingénument ce miracle charmant du fleuve qui, le jour, porte les bateaux en reflétant le ciel, et la nuit, se couvre de pierreries et de fleurs lumineuses. Et je voulais que cette belle eau fût toujours la même, parce que je l’aimais. Ma mère me disait que les fleuves vont à l’Océan et que l’eau de la Seine coule sans cesse ; mais je repoussais cette idée comme excessivement triste. En cela, je manquais peut-être d’esprit scientifique, mais j’embrassais une chère illusion ; car, au milieu des maux de la vie, rien n’est plus douloureux que l’écoulement universel des choses.

Le Louvre et les Tuileries qui étendaient en face de moi leur ligne majestueuse, m’étaient un grand sujet de doute. Je ne pouvais croire que ces monuments fussent l’ouvrage de maçons ordinaires, et pourtant ma philosophie de