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Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/16

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« Contemplez la forme d’un homme attentif à quelque étude, vous verrez en lui toutes les artères du cerveau tendues comme la corde d’une arbalète,… de manière qu’en tel personnage studieux vous verrez suspendues toutes les facultés naturelles, cesser tous sens extérieurs, bref, vous le jugerez n’être en soi vivant, être hors soi abstrait par extase… Ainsi est dite vierge Pallas, déesse de sapience, tutrice des gens studieux. Ainsi sont les Muses vierges ; ainsi demeurent les Charites en pudicité éternelle. Et il me souvient avoir lu que Cupido quelquefois interrogé de sa mère Vénus pourquoi il n’assaillait les Muses, répondit qu’il les trouvait tant belles, tant nettes, tant honnêtes, tant pudiques et continuellement occupées, l’une à contemplation des astres, l’autre à supputation des nombres, l’autre à dimension des corps géométriques, l’autre à invention rhétorique, l’autre à composition poétique, l’autre à disposition de musique, qu’approchant d’elles, il détendait son arc, fermait sa trousse, éteignait son flambeau, par honte et crainte de leur nuire. Puis ôtait le bandeau de ses yeux pour plus ouvertement les voir en face et ouïr leurs plaisants chants et odes poétiques. Là prenait le plus grand plaisir du monde, tellement que souvent il se sentait tout ravi en leurs beautés et bonnes grâces et s’endormait à l’harmonie, tant s’en faut qu’il les voulût assaillir ou de leurs études distraire. » (III, xxxj.)