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Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/161

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de Bridoye n’était pas juge ; c’était un vieux cultivateur poitevin, connu à trente lieues à la ronde comme appointeur, c’est-à-dire conciliateur de procès. On ne tuait pourceau en tout le voisinage, dont il n’eût des abatis et des boudins. Il était tous les jours de banquet, et il ne mettait jamais les plaideurs d’accord sans les faire boire. Enfin, il terminait à lui seul plus de procès qu’il ne s’en vidait dans tous le palais de justice de Poitiers.

Or, son fils Tenot Dandin voulut se mêler aussi de concilier les plaideurs ; mais il n’y réussissait point et ne parvenait pas même à terminer le plus petit différend ; au contraire, il irritait et aigrissait davantage les plaideurs qu’il voulait adoucir et calmer. Il se plaignit un jour à son père de son mauvais succès. Perrin Dandin lui en révéla la raison :

— Tu n’appointes jamais les différends, lui dit le vieillard. Pourquoi ? Tu les prends dès le commencement, étant encore verts et crus. Je les appointe tous. Pourquoi ? Je les prends sur leur fin, bien mûrs et digérés, quand mes plaideurs ont la bourse vide. À ce moment, je me trouve à propos comme du lard dans des pois.

— C’est pourquoi, conclut Bridoye, je temporise, attendant la maturité du procès.

Bridoye ayant achevé de prononcer sa défense, la cour lui ordonna de se retirer et s’en remit à Pantagruel du soin de prononcer une sentence.