Aller au contenu

Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, et c’est nous qu’emporte le décours du bateau. »

Or, ce système de Séleucus est celui que Copernic exposa en 1543. Rabelais professe que la terre tourne sur ses pôles ; c’était de son temps une grande nouveauté et une grande hardiesse. Pascal, plus d’un siècle après, en savait moins, et jusque vers la fin du siècle des philosophes, en France, les petits livres de cosmographie à l’usage des écoliers enseignaient le système de Ptolémée, donnant celui de Copernic comme une pure hypothèse. Et ne croyez pas aujourd’hui même, au vingtième siècle, le troupeau des ânes, le vulgaire, si bien instruit de ces choses. Dans mon pays, il a suffi tout récemment d’une proposition mal comprise du grand mathématicien Poincaré pour qu’une foule de lettrés ignorants (l’espèce en est prospère) replacent la terre au centre du monde, grand sujet de satisfaction pour l’orgueil humain. Mais poursuivons notre voyage.

Ayant quitté l’île d’Odes, nous mouillons dans le port des Esclots ou des Sabots, où se trouve un monastère de religieux très humbles, qui s’appellent eux-mêmes les frères Fredons, parce qu’ils fredonnent incessamment des psaumes. À la vue de ces moines, Frère Jean s’écrie :

— À cette heure, je connais, en vérité, que nous sommes aux antipodes de l’Allemagne, où l’on démolit les monastères et défroque les moines ; ici à rebours on les érige.