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Page:Anatole France - Thaïs.djvu/290

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de mon âme, à la vie éternelle, comme si tout cela comptait pour quelque chose quand on a vu Thaïs. Comment n’ai-je pas senti que l’éternité bienheureuse était dans un seul des baisers de cette femme, que sans elle la vie n’a pas de sens et n’est qu’un mauvais rêve ? Ô stupide ! tu l’as vue et tu as désiré les biens de l’autre monde. Ô lâche ! tu l’as vue et tu as craint Dieu. Dieu ! le Ciel ! qu’est-ce que cela ? et qu’ont-ils à t’offrir qui vaille la moindre parcelle de ce qu’elle t’eût donné ? Ô lamentable insensé, qui cherchais la bonté divine ailleurs que sur les lèvres de Thaïs ! Quelle main était sur tes yeux ? Maudit soit Celui qui t’aveuglait alors ! Tu pouvais acheter au prix de la damnation un moment de son amour et tu ne l’as pas fait ! Elle t’ouvrait ses bras, pétris de la chair et du parfum des fleurs, et tu ne t’es pas abîmé dans les enchantements indicibles de son sein dévoilé ! Tu as écouté la voix jalouse qui te disait : « Abstiens-toi. » Dupe, dupe, triste dupe ! Ô regrets ! Ô remords ! Ô désespoir ! N’avoir pas la joie d’emporter en enfer la mémoire de l’heure inoubliable et de crier à Dieu : « Brûle ma chair, dessèche tout le sang de mes veines,