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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/104

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gary, près de la rive gauche du Volga, que j’ai vu les plus intéressantes ruines orientales de la Russie, deux espèces de turbés à coupoles qui seront bientôt écroulés, et dont l’élégante architecture arabe rappelle de loin les belles tombes des environs du Caire. Chez les Turcs du Volga et de l’Asie centrale, comme chez les Ottomans du Bosphore, dans l’architecture comme dans la poésie, on sent presque partout l’imitation du génie arabe ou persan. Un tel défaut d’originalité fait dépendre toute leur culture du contact de l’étranger ; et la civilisation qu’ils ont reçue de leurs voisins musulmans, leur religion ne leur permet de la dépasser qu’en perdant leur indépendance.

À le bien prendre, le grand vice de l’islam, sa grande cause d’infériorité politique n’est, ni dans son dogme, ni même dans sa morale ; elle est dans la confusion du spirituel et du temporel, de la loi religieuse et de la loi civile. Le Koran étant à la fois la Bible et le Code, la parole du Prophète tenant lieu de droit, les lois et les coutumes sont à jamais consacrées par la religion ; de ce seul fait, toute civilisation musulmane est forcément stationnaire. Le progrès indéfini, qui constitue l’essence de notre civilisation chrétienne, est impossible ; quelle que soit la rapidité apparente de son développement, la société, dans son ensemble, est réduite à l’immobilité. Cette infériorité de l’islamisme est plutôt publique que privée, elle affecte les nations plutôt que les individus, car, sous l’influence étrangère, des musulmans peuvent accepter des idées et des coutumes qui n’eussent pu sortir de leur sein. Il peut arriver aux mahométans ce qui, dans les sociétés chrétiennes, est advenu aux Israélites, non moins enchaînés par la loi religieuse ; resté en corps de nation, le Juif n’aurait pu sans peine s’élever à une civilisation plus complète que celle des peuples musulmans. Pour ceux-ci, comme pour les Juifs, la domination chrétienne peut être un bienfait, l’émancipation morale sortant de la servitude politique. C’est ainsi que, dans les endroits où les Tatars russes sont en mino-